• Derek poussa la porte de la salle où, selon ce qu’un infirmier venait de lui dire, Callie était entrée quelques minutes plus tôt. Effectivement, il la trouva debout devant les écrans, en train d’examiner des clichés de radiographie. Elle jeta un bref regard dans sa direction avant de se détourner, ignorant sa présence pour s’absorber à nouveau dans l’examen attentif des radios. Il vint se mettre à ses côtés et les observa à son tour. C’est pas beau à voir, dit-il enfin après quelques minutes.

    Ouais. Accident de la route. Les pompiers ont dû désincarcérer le bonhomme. Rassurée que Derek place la conversation sur un plan strictement professionnel, Callie tendit le bras vers un des clichés. Ici, tu vois, on a une fracture transversale de la rotule. Je vais placer deux broches parallèles de 20.10ème au niveau du tiers antérieur. Je relierai les deux par un hauban métallique, ce qui va me permettre une mise en compression dynamique du foyer de fracture. Elle se déplaça légèrement sur la droite pour désigner à son collègue une autre image. Et là, on a une double fracture ouverte du tibia péroné avec luxation de la cheville vers l’extérieur. Regarde là. Derek se rapprocha. Tout est en miettes, lui indiqua-t-elle.

    Tu vas pouvoir t’amuser, constata-t-il avec un petit sourire.

    Moi, oui, mais le patient… Il en a pour des mois de rééducation. Il va déguster.

    C’est mieux que d’être dans un fauteuil roulant. Derek se recula et alla appuyer ses fesses sur le bord de la table. Ne sachant quelle attitude adopter envers lui, maintenant que le sujet médical semblait épuisé, Callie resta face aux écrans lumineux, comme si elle continuait son examen. En réalité, son cœur battait à tout rompre. Bien que Derek semblât être revenu à de meilleurs sentiments, elle se demandait à quelle sauce il allait la manger. De son côté, il devina qu’elle ne savait plus comment se comporter avec lui. Lui-même ne se sentait pas très à l’aise non plus. Ils avaient été tellement proches et voilà maintenant qu’ils ne trouvaient plus rien à se dire. La faute aux sentiments qui avaient gâché leur belle amitié, pour autant qu’on puisse donner ce nom à ce qui les avait liés. Néanmoins, en souvenir de ce qu’ils avaient été l’un pour l’autre, Derek était décidé à mettre les choses au point. Il prit une grande inspiration avant de se lancer. Ecoute, je voulais te dire, pour hier…

    Laisse tomber, l’implora Callie, la voix déjà chargée de sanglots refoulés.

    Je veux, poursuivit-il néanmoins avant de s’arrêter. Présenter des excuses n’était pas son fort. C’était un exercice qu’il n’avait guère pratiqué. Comme il ne savait pas trop comment s’y prendre, il décida de faire simple. Je veux te présenter des excuses pour la façon dont je t’ai traitée hier, reprit-il. J’ai été odieux. Tu ne le méritais pas.

    C’est rien, l’assura Callie en se tournant vers lui. Je comprends.

    Derek ne répondit pas directement, se contentant de hocher doucement la tête. Je veux surtout que… que tu saches que je ne méprise pas tes sentiments. Il posa sur elle un regard presque tendre qui la fit frissonner. J’aurais simplement préféré, pour toi, que tu ne les éprouves pas, parce que je ne pourrai jamais te les rendre.

    Je sais, murmura-t-elle. J’ai essayé de lutter mais…

    Derek leva la main pour l’empêcher de continuer. Tu n’as pas à t’excuser. Je sais ce que c’est. Moi non plus, je ne voulais pas tomber amoureux et… Son regard se perdit dans le vague pendant un long moment que son amie se garda bien d’interrompre. Ça fait douze ans que je me bats de toutes mes forces pour que ça n’arrive pas. C’est long, douze ans, et après tout ce temps, on se croit à l’abri. Et puis…

    Les yeux pleins de larmes, Callie termina la phrase à sa place. Et puis, on fait une rencontre et tout est remis en question. Elle savait exactement ce qu’il ressentait.

    Il l’approuva d’un sourire triste. Je t’en ai voulu, lui avoua-t-il soudain. Pour ce qui est arrivé avec Meredith. J’ai voulu croire que, si on ne s’était pas parlé, si tu ne m’avais pas posé de questions, elle n’aurait rien su et on serait toujours ensemble.

    Je suis désolée. Si j’avais su… Callie n’avait qu’une envie, c’était de le prendre dans ses bras pour le consoler, comme avant. Mais elle s’en abstint. Plus rien n’était comme avant entre eux, maintenant.

    Derek haussa les épaules. Tu n’y es pour rien. C’était juste trop dur d’admettre que si je l’avais perdue, c’était ma faute. Il se releva en soupirant. Si seulement on avait parlé d’autre chose à ce moment-là… Il ne parvenait pas à chasser de son esprit l’idée que, si Meredith avait surgi quelques minutes plus tôt ou plus tard, leur vie aurait pris un tout autre tour.

    Il était déjà à la porte lorsque Callie le rappela. Derek… Le regard qu’il lui lança l’émut par sa détresse. Jamais encore elle ne l’avait vu aussi vulnérable. Si je peux me permettre un conseil… Il lui fit un signe de tête l’invitant à poursuivre. Je ne crois pas qu’une relation bâtie sur le mensonge et le non-dit puisse tenir le coup à longue échéance. Alors, si tu veux vraiment être avec Meredith, et que ça marche, il faut que tu lui dises la vérité. Toute la vérité, quelle qu’elle soit.

    Derek resta là, les yeux fixés sur le carrelage, réfléchissant à la pertinence de ces propos. En ce qui le concernait, dire la vérité consistait à déterrer un monceau d’ignominies. Comment Meredith réagirait-elle en apprenant ce qu’avait été sa vie avant et même pendant leur relation ? Pourtant, il savait que le conseil de Callie était bon. Tu as sans doute raison, répondit-il enfin. Encore faudrait-il qu’elle veuille bien m’écouter, ajouta-t-il d’un ton las. Je l’ai appelée, je lui ai laissé des messages. Sans résultat.

    Ces choses-là, il vaut mieux les dire face à face, tu sais, lui fit remarquer Callie. Tu devrais aller la voir.

    Mais j’en crève d’envie, Cal ! s’exclama-t-il. Même si elle doit m’insulter, tant pis. Mais la voir, lui parler… Il respira un grand coup. Seulement, Mark m’a interdit d’aller à Santa Rosa. Il dit qu’elle a besoin de temps, d’espace…

    Callie le regarda avec étonnement. Depuis quand fais-tu ce qu’on te demande, Derek ? Si tu as envie de voir Meredith, si tu as des choses à lui dire, si tu as le sentiment que c’est ce que tu dois faire, alors saute dans ta voiture, roule jusqu’à Santa Rosa et va lui dire tout ce que tu as sur le cœur.


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  • La musique du carillon de l’entrée résonna dans la maison silencieuse. Taylor leva la tête du recueil de poésies de Walt Whitman que son professeur d’anglais avait eu la mauvaise idée d’imposer comme prochain devoir. Elle profita de l’occasion trop belle qui lui était offerte de mettre fin à son calvaire – elle détestait la poésie et plus particulièrement celle de Whitman – et bondit hors du fauteuil dans lequel elle s’était confortablement installée. J’y vais, hurla-t-elle à l’intention de sa mère qui était à la cuisine, en train de faire de la pâtisserie. Elle courut jusqu’à la porte qu’elle ouvrit, haletante. Qui que vous soyez, je vous adore et je vous bénis… Elle s’arrêta, la bouche ouverte, en découvrant celui qui était devant elle.

    Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça mais merci, répondit Derek, un petit sourire amusé sur les lèvres. Cette gamine devait être la fameuse Taylor que Meredith et Mark avaient évoquée lors de la conversation téléphonique à laquelle il avait assisté.

    La jeune fille avait déjà repris ses esprits. De rien. Elle le toisa, légèrement provocante. Impossible de s’y méprendre, c’était bien le type qui était sur un bon nombre des photographies de Momsy. Alors comme ça, voilà le fameux Derek. Vous en avez mis du temps pour vous décider à venir, lança l’effrontée.

    Cette fois, Derek sourit largement. Outre le fait que cette jeune insolente l’amusait, il appréciait qu’elle sache qui il était. Cela signifiait que Meredith avait parlé de lui. Et la dernière remarque, presque un reproche, lui fit espérer que sa venue avait été évoquée, souhaitée même. Je suis parfois un peu long à la détente, je l’avoue.

    Je vois ça, ironisa Taylor. Dommage parce que Meredith n’est pas là. Le sourire du chirurgien s’effaça instantanément. Mais je peux vous emmener voir Momsy, comme ça, vous ne serez pas venu pour rien, ajouta Taylor, toujours aussi moqueuse. Elle recula de quelques pas pour lui libérer le passage.

    Meredith… où est-elle ? demanda-t-il en la suivant à travers les couloirs. Durant tout le voyage depuis San Francisco, il avait pensé à ce que serait sa confrontation avec son ex petite-amie. Il avait tout imaginé, qu’elle éclaterait en sanglots, qu’elle lui claquerait la porte au nez, qu’elle hurlerait, qu’elle l’insulterait, qu’elle le frapperait même, mais certainement pas qu’elle serait absente.

    A Santa Rosa, lui apprit Taylor. Elle passe son permis de conduire. Si vous avez du temps à perdre, vous pouvez toujours l’attendre. Derek grimaça. Du temps, justement, il n’en avait pas beaucoup. Il était attendu au bloc en fin d’après-midi pour une intervention qu’il lui était absolument impossible de reporter. Il avait quitté l’hôpital sur un coup de tête, directement après sa conversation avec Callie, espérant que les quelques heures qu’il avait devant lui suffiraient à convaincre Meredith de son amour et de sa bonne foi. Il ne lui restait plus qu’à prier pour qu’elle rentre rapidement. Ils étaient à la porte qui menait à la terrasse lorsque tout à coup, Taylor lui fit signe de s’arrêter. Vous avez de la visite, Momsy, annonça-t-elle en sortant.

    Si c’est le docteur ou le pasteur, tu peux les renvoyer chez eux, grommela la vieille dame. J’en ai marre d’entendre leurs jérémiades. Peuvent pas me laisser mourir en paix, non ?

    C’est pas le pasteur, chantonna la jeune fille. Elle se retourna vers Derek avec un regard appréciateur. Sinon, j’irais à l’église plus souvent. D’un signe de tête, elle l’invita à la rejoindre.

    Oh mon dieu ! s’exclama Momsy en découvrant l’identité de son visiteur.

    Lorsqu’il aperçut la frêle silhouette de la grand-mère de Mark, toute petite dans le grand fauteuil en osier, une émotion indicible étreignit Derek et il eut soudain une folle envie de pleurer. Lorsque sa voiture avait franchi la barrière de la propriété, une foule de souvenirs avaient afflué à sa mémoire. C’était ici qu’il avait vécu les plus belles heures de son enfance : les courses de vélo avec Mark, les jeux avec les gamins des environs, les randonnées dans la campagne, les parties de pêche dans l'étang, les soins aux animaux, les visites au Musée Charles Schulz, le créateur de "Peanuts", les séances de cinéma, les goûters d’anniversaire… C’était dans cette maison qu’il avait pu échapper à la terrible dynamique familiale, redevenir un enfant comme les autres, agir un tant soit peu à sa guise, faire ses propres expériences, des bêtises même, parfois, sans craindre d’être jugé ou brimé. C’était ici enfin qu’il avait appris ce qu’étaient l’amour et la tendresse d’un parent, car Momsy avait été bien plus une mère pour lui que sa génitrice. Il fut près d’elle en deux enjambées et, s’agenouillant à ses pieds, posa la tête sur ses genoux, les bras autour de sa taille, respirant à pleins poumons son parfum qui lui rappelait tant de moments heureux.

    Emue, Momsy posa sa main sur la tête de celui qu’elle considérait comme son deuxième petit-fils et joua avec ses boucles brunes. C’est bon, Taylor, tu peux nous laisser, dit-elle à l’intention de la jeune fille qui les regardait avec étonnement. Tu devrais retourner à ta lecture avant que ta mère ne t’étripe. Elle attendit que l'adolescente disparaisse pour s’adresser à Derek qui se serrait toujours contre elle. Te voilà donc, garnement ! murmura-t-elle tendrement. Il t’en a fallu du temps pour retrouver le chemin de la maison.

    Il se redressa et ses yeux débordants de larmes se plantèrent dans ceux de la vieille dame. Douze ans, chuchota-t-il, plein de remords. J’aurais dû revenir plus tôt. Je suis impardonnable.

    Cesse de dire des bêtises. Momsy passa sa main sur la joue mal rasée du chirurgien. Il te fallait juste une bonne raison de revenir.

    Vous étiez la meilleure des raisons, Momsy. C’est juste que… - il poussa un long soupir - c’était trop dur de revenir ici. La savoir au cimetière, ici, tout près… Je n’avais pas la force, reconnut-il avec franchise.

    Momsy lui sourit. Mais aujourd’hui, tu l’as trouvée, la force, n’est-ce pas ? Il acquiesça. Oui, aujourd’hui, il avait trouvé la force de venir défier ses vieux démons. De toute façon, il n’avait plus le choix, parce que la seule chose que lui avaient appris ces derniers jours, c’était que vivre sans Meredith était la pire des souffrances.


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  • Malheureusement, mon petit, Meredith n’est pas là, annonça Momsy avec ménagement. Elle est à Santa Rosa avec Jackson, pour passer son permis de conduire.

    Derek soupira, avec la sensation que tout jouait contre lui. Je sais, la gamine me l’a dit.

    Momsy sourit en entendant de quelle façon il considérait Taylor, elle qui se donnait tant de mal pour qu’on la prenne pour une vraie femme. Remarquant l’air dépité de Derek, elle lui tapota délicatement la joue. Elle ne devrait pas tarder à rentrer, je pense.

    J’espère. Je n’ai pas beaucoup de temps devant moi, déplora Derek.

    Soudain, un bruit, qui venait de derrière la porte, restée ouverte, fit penser à la vieille dame qu’on était en train de les espionner. Taylor, si tu ne déguerpis pas directement, tu vas avoir affaire à moi, cria-t-elle tout en faisant un clin d’œil à Derek. Un grognement leur apprit qu’elle avait vu juste. Viens, aide-moi à me lever, dit-elle au chirurgien. On va se promener un peu. J’ai bien peur qu’ici les murs aient des oreilles. Elle se mit debout en s’appuyant sur l'épaule de Derek, tandis qu’il la tenait solidement par la taille, avant de lui prendre le bras pour descendre les quelques marches qui menaient au jardin.

    Meredith… comment va-t-elle ? demanda-t-il enfin d’une voix sourde, après qu’ils aient fait quelques pas.

    Ah ça ! Momsy lui décocha un regard qui se voulait furieux mais dans lequel il n’y avait que de l’indulgence. Elle était tellement heureuse de le revoir qu’elle était incapable de lui reprocher quoi que ce soit. Comme une jeune fille qui a été trompée par son premier grand amour, qu’est-ce que tu crois ? bougonna-t-elle. Elle m'a quand même dit qu'elle était restée vierge jusqu'à vingt ans parce qu'elle voulait se réserver pour l'homme de sa vie. Et c'est à toi qu'elle s'est donnée, Derek. Ça en dit long sur les sentiments qu'elle avait pour toi et donc, tu imagines ce qu'elle a ressenti quand elle a découvert ce que tu avais fait.

    Oui. Je me suis conduit comme un con, admit Derek, la tête baissée, comme si elle ployait sous le poids de la honte.

    Hmm… Je te trouve bien indulgent avec toi-même, mon garçon. C’est pire qu’une connerie, ça. Momsy lui donna une tape sur le bras. Qu’est-ce qui t’a pris, nom de dieu ? Tu rencontres une belle petite qui est gentille, qui a oublié d’être stupide et qui, en plus, est folle de toi. Et toi, tu ne trouves rien de mieux à faire que de continuer à courir la gueuse ? Elle jeta les yeux au ciel en secouant la tête.

    Je sais, je suis un connard, se fustigea Derek. Il faut toujours que je détruise tout ce qu'il y a de bien dans ma vie. Et avec Meredith, c'était mieux que bien. Elle est différente des autres. Je sais que c'est bizarre mais cette fille, je crois qu'elle m'aime pour autre chose que ma belle gueule ou ce que je peux lui apporter.

    Momsy leva la tête vers lui avec un regard plein de compassion. Mon petit, quand vas-tu cesser de croire que tu n'es pas quelqu'un de bien et que tu ne mérites pas d’être aimé ? Je sais que c’est ce que ton père t’a toujours dit mais ce n’est pas vrai.

    Derek haussa les épaules. En tout cas, je ne mérite pas qu’elle m’aime. Je lui ai fait du mal. Plusieurs fois. Je me suis mal conduit avec elle. Je lui ai menti. Je l’ai manipulée. Je l’ai trompée. Je ne la mérite pas, insista-t-il.

    Avant peut-être. Mais maintenant ? Apparemment, tu es conscient de tes erreurs, constata Momsy. Alors, tu peux les réparer.

    Comment ? Elle ne veut même plus me parler, se lamenta Derek.

    Ça, c’est normal, mon petit. Après ce que tu lui as fait…

    Je regrette tellement, si vous saviez. Si seulement je pouvais revenir en arrière…

    Momsy sourit. Mais tu ne peux pas. A quoi as-tu pensé ce jour-là ? Elle savait par Mark ce qui avait amené Derek à tromper Meredith, mais elle voulait l’entendre de la bouche même de l’intéressé. C’est donc tellement important, le cul, pour toi ? Cette petite était encore vierge quand tu l’as rencontrée. C’est normal qu’elle ne sache pas trop y faire. A toi de lui apprendre !

    Ça n’a rien à voir ! protesta Derek avec force, en se demandant qui de Mark ou de Meredith avait raconté les détails de l’histoire à Momsy. Elle… elle m’a tout donné, au-delà de tout ce que j’avais espéré.

    Mais alors, qu’est-ce qui cloche ? La vieille dame le tira légèrement par le bras pour l’entraîner en direction d’un banc qui se trouvait à l’ombre d’un grand chêne.

    Vous le savez bien, murmura-t-il.

    Momsy le gronda affectueusement. Mon garçon, tu ne crois pas qu’il serait de temps de passer à autre chose ? Ils prirent place sur le banc. Ça fait douze ans maintenant que tu gâches ta vie à cause de cette vieille histoire. Et pour qui ? Ton père est sans doute toujours le même connard arrogant qu’à l’époque et je doute qu’il change un jour. Quant à ta mère… - elle expira longuement – ça ne se fait pas de dire du mal des morts, alors je vais m’abstenir de dire ce que je pense. Dans tous les cas, elle n'est plus là, alors, il faut que tu vives pour toi maintenant. Elle enveloppa Derek d’un regard tendre. Tu l’aimes, cette petite ?

    Oui, énormément, répondit-il avec pudeur.

    Alors, qu’est-ce qui te fait si peur ? l’interrogea Momsy, bien décidée à lui faire dire tout ce qu’il avait sur le cœur.

    Tout, avoua-t-il. A commencer par mon âge. J’ai quinze ans de plus qu’elle, Momsy.

    Les yeux de cette dernière s’écarquillèrent. Et alors ? Mon Edward aussi était plus âgé que moi. Cela ne nous a pas empêchés d’être heureux !

    Oui, peut-être. Je ne sais pas, soupira Derek. J’ai peur un jour de ne plus être à la hauteur de ces attentes. Qu’elle ouvre les yeux et qu’elle se rende compte que je ne suis pas l’homme qu'elle croyait. Ou qu’elle se lasse et qu’elle me quitte pour un autre. Il serra les poings si fort que ses ongles s’enfoncèrent dans sa paume. Je ne supporterais pas de vivre ça encore une fois, Momsy. Pas avec elle. J’y tiens trop.


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  • Momsy s’étonna de sentir Derek trembler. Mon petit, d’après ce que j’ai pu voir, Meredith ne ressemble en rien à cette garce dont tu t’étais amouraché.

    Ah non, ça, c’est certain. Le visage de Derek s’illumina soudain. Elle est merveilleuse, n’est-ce pas ? Il guetta avec anxiété la réaction de Momsy et fut soulagé de la voir acquiescer d’un signe de la tête. Oui, elle est merveilleuse, répéta-t-il comme pour lui-même. Et je ne parle pas seulement de sa beauté, vous savez. Parce qu’elle est belle, évidemment, s’enthousiasma-t-il. Mais elle est aussi intelligente et elle a beaucoup d’humour. Et puis, elle est gentille, attentionnée et tellement tendre. J’ai mis longtemps à l'admettre mais j’étais vraiment heureux avec elle, comme je ne l'avais jamais été, conclut-il, le cœur à nouveau au bord des larmes.

    Rien n’est perdu, tu sais, lui certifia la vieille dame. Elle t’en veut, bien sûr, mais ça ne signifie pas qu’elle ne t’aime plus.

    Elle vous l’a dit ? lui demanda Derek, plein d’espoir.

    Momsy feignit de s’indigner. Pas besoin ! Mon cœur est peut-être foutu mais mes yeux sont toujours bons. Et je sais encore reconnaître une fille amoureuse.

    Oui, mais je lui ai brisé le cœur et…

    Elle lui coupa directement la parole. Crois-moi, il y a plus grave qu’un cœur brisé ! Elle porta la main à sa poitrine. Moi, le mien, il est usé, en fin de course. Quoiqu’on fasse, il va bientôt s’arrêter. Sa main quitta son cœur pour aller se poser sur celui de Derek. Ton cœur, même brisé, n’a jamais cessé de battre et, petit à petit, sans que tu t’en rendes compte, il s’est recollé. Ça a pris du temps, bien sûr, mais c’est arrivé. La preuve, tu es retombé amoureux ! Meredith aussi s'en remettra, d'une façon ou d'une autre. Elle se tut un instant, repensant à toutes les épreuves qu’elle avait vécues, et décida de garder pour elle le fait qu’un jour, il ne fallait plus espérer recoller un cœur qui s’était brisé trop souvent. Tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort, mon garçon. Il faut seulement que tu tires des leçons de tes erreurs. Cesse de regarder vers ton passé, tu ne peux plus rien y changer, de toute façon. Tourne-toi vers ton avenir, avec Meredith. Et surtout, exorcise tes démons, Derek. Tant que tu ne seras pas en paix avec toi-même, tu ne pourras pas être avec Meredith comme tu as envie de l’être.

    Vous avez raison, dit Derek après avoir réfléchi un moment à ces sages paroles. Et puis, je n’ai plus rien à perdre, n’est-ce pas ?

    Momsy lui prit la main et la serra dans la sienne. Effectivement, mon petit, puisque tu as déjà tout perdu. Alors, fonce ! Ça te connaît, ça, ajouta-t-elle avec un petit rire. Tu aimes toujours autant les bolides, je suppose ?

    Oui. Derek lui sourit et elle retrouva soudain le petit garçon malicieux qu’il avait été parfois. Meredith trouve que ça fait frimeur, et elle n’a sans doute pas tort mais j’aime les belles voitures qui roulent vite.

    Les yeux de Momsy brillèrent de malice. Oh, à mon avis, elle ne dira plus rien pour les bagnoles si tu cesses de t’intéresser aux belles filles.

    Oh ça, vous pouvez compter sur moi ! L'espièglerie déserta subitement les traits de Derek pour faire place à la confusion. Je n’étais pas attiré par ces femmes, vous savez. Je voulais juste… Il réfléchit un instant à la façon de formuler correctement la raison pour laquelle il avait trompé la femme qu’il aimait tant. Au début, c’était seulement pour me persuader que je ne tenais pas tant que ça à Meredith, que je restais maître de ma vie. Ensuite, quand j’ai compris que ce n’était plus le cas… Il soupira profondément. A chaque fois que j’ai aimé quelqu’un, ma mère, Abigail… ça s’est très mal terminé. Et Meredith, je l’aime tellement, murmura-t-il. Plus que je n’ai jamais aimé et… ça me paralyse de peur. 

    Derek, Meredith n’est pas Abigail, lui redit Momsy avec assurance. Quant à ta mère… aaaah mon tout petit, ce qui est arrivé n’est pas ta faute, tu le sais bien. Ta mère… – à nouveau, elle lui étreignit la main – elle a toujours été fragile des nerfs et vivre avec ton père n’a rien arrangé. Elle était malade. Le jour de sa mort… ce qu’elle t’a fait ce jour-là, elle ne l’aurait pas fait si elle avait été dans un état normal. Derek tourna vers elle un regard éperdu de détresse et elle sentit son cœur déborder de tendresse pour cet homme dans lequel elle ne voyait que le petit garçon privé d’amour qui se jetait dans ses bras pour réclamer sa part d’affection. Elle lui caressa la joue du bout des doigts. Comme tu ressembles à ton grand-père ! Il t’adorait, tu sais. S’il avait vécu plus longtemps, il n’aurait pas permis que tout cela se produise. Elle hocha la tête avec un sourire satisfait. Il serait fier de voir le médecin, l’homme que tu es devenu.

    Il n’y a pas de quoi pourtant, maugréa Derek, qui s’en voulait pour toute cette émotion qui l’envahissait et qu’il ne parvenait plus à maîtriser.

    Taratata ! Tu es un bon garçon… quand tu veux bien laisser tomber le masque, plaisanta la vieille dame. Ce n’est pas pour rien que Meredith est tombée amoureuse de toi.

    Ouais, c’est certain, répondit Derek sur un ton ironique. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle ne veut plus me parler, ni répondre à mes messages. D’ailleurs, si ça se trouve, elle ne les a même pas écoutés, ronchonna-t-il comme un gamin contrarié.

    Ah ne commence pas ou je vais me fâcher, le prévint Momsy avec des yeux qui roulaient dans leurs orbites. Elle les a écoutés, tes messages, et je peux te dire que ça a fait son effet. Elle fut heureuse de voir le regard de Derek se teinter d’espoir. Evidemment, ça n’a pas suffi pour qu’elle te pardonne, tempéra-t-elle, mais… Sa main dansa dans les airs.

    Oui, je l’ai vraiment blessée, je le sais. Elle est tellement fière ! dit Derek avec une nuance de regret dans la voix.

    Comme toi, mon petit ! lui fit remarquer Momsy avec un doux sourire, juste avant de froncer les sourcils. Mais là, il va falloir mettre ta fierté dans ta poche avec ton mouchoir par-dessus.

    C’est ce que je vais faire, Momsy, promit Derek. Je suis prêt à tout. Prêt à tout, certes, mais le problème était de savoir ce qui serait vraiment efficace. Il n’avait jamais eu à gérer ce genre de situation et se sentait complètement perdu. Quand je la verrai, quand elle me laissera lui parler, qu’est-ce qu’il faut que je lui dise pour qu’elle me pardonne ?

    Mais tout, tu dois tout lui dire, Derek. Momsy tapota délicatement la cuisse du chirurgien. Il faut qu’elle sache qui tu es vraiment. Parle-lui de ton passé. Tu sais bien que c’est la clef de tout.


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  • Je sais que vous avez raison, reconnut Derek, la gorge nouée. Mais j’ai passé tellement de temps à essayer de refouler tout ça et maintenant il faut que… Il allait falloir tout ressortir, toute cette merde, il n’avait pas d’autre mot pour caractériser ce qui s’était passé dans sa vie jusqu’à présent. C’est dur.

    Bien sûr que c’est dur, bien sûr. Momsy hésita quelques secondes avant de poursuivre. Après avoir écouté ton message, Meredith est venue dans ma chambre et… ne m’en veux pas mais je lui ai parlé d'Abigail et de ton père. Et de ta mère aussi, sans entrer dans les détails. Derek prit la main de la vieille dame et la porta à sa bouche, y appuyant longuement ses lèvres, pour qu’elle comprenne qu’il ne lui en voulait pas. Les détails, je te les laisse. Premièrement, je ne suis pas au courant de tout et puis, je crois qu’elle préfère que ça vienne de toi. C’est de toi qu’elle attend des réponses, Derek.

    Il opina doucement de la tête. J’aimerais bien être plus vieux de quelques heures, dit-il soudain. Il était conscient que ces quelques heures ne suffiraient pas pour que Meredith passe l’éponge mais au moins il l’aurait revue – c’était ce qui lui importait le plus – et il aurait pu poser les premiers jalons de sa tentative de reconquête. Il se tourna vers Momsy avec un sourire presque enfantin, qui la fit fondre. Dites, par hasard, vous ne connaîtriez pas un moyen de faire avancer le temps ?

    Elle renversa légèrement la tête en arrière avec un petit rire chevrotant. Je suis pleine de ressources mais je n’en suis pas encore à faire des miracles, sinon je ne serais pas ici à me trainer comme une vieille tortue. Ils échangèrent un sourire complice. Les années ne t’ont pas rendu plus patient, dis donc !

    Que du contraire ! Derek regarda sa montre et fut surpris de l’heure qu’il était déjà. Il ne lui restait pas beaucoup de temps avant de devoir repartir. Il commença à redouter que Meredith ne rentre pas avant son départ. Momsy, si jamais je dois partir avant le retour de Meredith, vous lui direz que je suis venu, n’est-ce pas ?

    Bien sûr, mon petit, promit-elle, attendrie. Tu peux compter sur moi.

    J’ai tellement peur qu’elle pense que je me désintéresse d’elle, confessa Derek. Mark lui avait demandé de laisser du temps et de l’espace à la jeune fille mais maintenant, il regrettait de l’avoir fait. Il craignait que Meredith ne prenne ça pour de l’indifférence. Dites-lui aussi que je l’aime, plus que tout, que rien d’autre ne compte qu’elle…

    Momsy lui plaça une main sur la bouche pour le faire taire. Tu le lui diras toi-même, mon garçon. Ces mots-là n’auront pas la même valeur pour elle si c’est moi qui les dis.

    Malgré l’assurance affichée par Momsy, Derek continuait à douter et il ressentit un énorme besoin d’être rassuré. Vous croyez vraiment que j’ai encore une chance avec elle ? demanda-t-il fébrilement. Je l’ai tellement déçue. C’est possible qu’elle m’aime encore ? Enfin, assez pour me pardonner et me reprendre ?

    Momsy s’étonna de le sentir si peu confiant, lui qu’elle avait toujours connu tellement sûr de lui, trop parfois d’ailleurs, jusqu’à en être arrogant. Ecoute, je ne peux pas parler à sa place. En plus, je ne la connais pas très bien mais… – son sourire se fit rassurant – de ce que j’ai pu voir, elle t’aime encore. Alors, tant qu’il y a de l’amour, rien n’est perdu !

    Ah j’espère. Derek soupira encore une fois, en jetant un nouveau coup d’œil à sa montre. En tout cas, je vous remercie de m’avoir écouté.

    Bah, c’est à ça que ça sert, la famille, non ? Derek approuva d’un signe de tête. Oui, cette vieille dame et Mark étaient sa famille, bien plus que ne l’étaient les personnes à qui il était lié par la génétique. A ce propos, enchaina Momsy, j’ai quelque chose à te demander, moi aussi, une faveur en quelque sorte. Il fronça un peu les sourcils. Je voudrais que tu veilles sur Mark quand je ne serai plus là, lâcha-t-elle.

    Le ton de Derek se chargea de reproches. Momsy, ne dites pas ça. Il lui passa un bras autour des épaules. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, non ?

    Elle leva directement sa main en l’air. Ah non, pas toi ! s’écria-t-elle. Ne me dis pas que je vais m’en sortir. Nous savons tous les deux que ce n’est pas vrai.

    Derek comprit qu’il était inutile de lui mentir. Oui, concéda-t-il en soutenant son regard insistant.

    Je préfère ça. Momsy se détourna un instant, regardant en silence cet endroit qu’elle aimait tant et qu’elle allait devoir quitter très bientôt. Edward le lui avait offert pour son trentième anniversaire, afin qu’elle puisse laisser libre cours à sa passion pour les chevaux. Lorsqu’elle s’était retrouvée subitement veuve, voilà un peu moins de quarante ans, elle avait quitté leur maison de San Francisco pour se retirer ici, où ils avaient été si heureux. C’était ici qu’elle voulait mourir et reposer pour l’éternité. Elle posa à nouveau son regard fatigué sur Derek. Promets-moi de ne jamais le laisser tomber. Il va avoir besoin de toi. Emu aux larmes par cette confiance qu’elle lui témoignait, le chirurgien ne put répondre que par un signe de tête. Tu comprends, quand je serai partie, il va se retrouver tout seul. Toi, tu as Meredith, lui, il n’aura plus personne, à part toi. Elle soupira. La mort ne lui faisait pas peur. Certains jours, même, elle l’espérait de toutes ses forces, tant sa lassitude était grande. Mais que Mark se retrouve livré à lui-même était devenu, au fil des derniers mois, une véritable hantise qui l’avait empêchée d’envisager sereinement son départ. C’est un oiseau pour le chat, mon petit, expliqua-t-elle à Derek avec un sourire tendre. Que veux-tu, il est comme son père, trop bon, trop con. S’il tombe sur la mauvaise personne, il va se faire avoir sans s’en rendre compte, dit-elle avec fatalisme. Toi, tu es lucide. Tu vois ce genre de choses. Il faudra lui ouvrir les yeux. Je sais qu'il t'écoutera. Après ma mort, il sera le seul dépositaire de la fortune des Sloan. Alors, méfie-toi des vautours, à commencer par sa mère, ajouta-t-elle, soudain plus fébrile. Elle lui serra la main de toutes les forces qui lui restaient. Et il faudra que tu l’obliges à s’occuper de Jackson. Ce ne sera pas facile, je sais, c’est un sujet épineux, mais il doit le faire. Ce sera son rôle en tant que chef de famille.

    Derek sentit qu’elle s’énervait. Momsy, ne vous inquiétez pas, dit-il doucement. Je veillerai sur Mark. Le jour où vous… – il s’arrêta soudain, se refusant à employer des mots qui auraient un caractère par trop inéluctable – vous pouvez être tranquille. Je ne le laisserai jamais tomber. C’est un frère pour moi, vous le savez bien.

    Merci, répondit simplement Momsy. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit sereine. Maintenant qu’elle avait revu ses deux garçons et qu’elle avait confié son petit-fils chéri à Derek, en qui elle avait toute confiance, elle pouvait rejoindre son mari et son fils.


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