• Mark la regarda sévèrement. Quoi ? J’ai tort ? Il se leva à son tour et partit à la cuisine, laissant ses amis interloqués. Tu as failli te faire violer, c’est vrai, dit-il en revenant avec une bouteille de scotch dans une main et deux verres dans l’autre. Mais cela aurait pu être pire. Tu aurais pu te faire violer.

    Offusquée, Meredith le fusilla du regard. Là, tu vas trop loin, mon vieux, estima Derek en la prenant par les épaules.

    Pourquoi ? Je ne fais que dire la vérité. Après avoir posé la bouteille et les verres sur la table, Mark s’assit dans un fauteuil et s’adressa à Meredith. Tes copines profitent de toi, ce n’est pas nouveau. Elles sont connes. Dommage qu’il ait fallu cette histoire pour que tu t’en rendes compte. Quant à ton mec – il se tourna vers l’intéressé - il est toujours là, d’après ce que je vois.

    Pour combien de temps ? demanda sèchement Meredith. Derek souffla bruyamment.

    On en a déjà discuté, non ? Mark se tourna vers son ami. Tu as l’intention de la quitter ?  

    Mais non, soupira Derek. Je ne sais plus sur quel ton le dire pour que tu me croies, ajouta-t-il à l’intention de Meredith. Elle fuit son regard et s’affala de nouveau sur le canapé.

    Mark montra la bouteille de scotch à Derek. Tu en veux ?

    C’est encore un peu trop tôt pour moi, déclara celui-ci en grimaçant légèrement.

    Normalement pour moi aussi mais là, quelque chose me dit que je vais en avoir besoin, persifla Mark en regardant Meredith avec un air sévère. Alors, il est où, le problème ? Il se servit un verre de whisky.

    Meredith s’emporta directement. Il est où, le problème ? Tu oses me le demander ? Elle était furieuse et pour la première fois, Mark remarqua l'éclat singulier que prenaient ses yeux sous l'effet de la colère. Il pensa soudain qu’elle ne le regarderait malheureusement jamais comme elle regardait Derek. Se sentant coupable d’avoir de telles pensées, il les chassa de son esprit et se concentra à nouveau sur ce que la jeune fille disait. En quelques heures, ma vie toute entière s’est écroulée. J’ai perdu mes amis, mon travail. Le sexe me fait horreur – Derek tiqua – et en plus, je suis devenue un monstre, ce qui condamne ma vie amoureuse à plus ou moins court terme. Voilà le problème !

    Mark prit Derek à témoin. C’est bien ce que je disais ! Elle dramatise. Il regarda Meredith avec un air excédé. Tu as vingt-et-un ans, merde ! Des amis, tu t’en feras d’autres, des meilleurs et, crois-moi, ce ne sera pas compliqué. Ton travail ? Il ricana. Allez, arrête. Ne me fais pas croire que tu n’as pas d’autres ambitions que de vendre des patisseries. C’est peut-être l’occasion de les réaliser, non ? Il vida son verre d’un trait. Celui-là, je ne l’ai pas volé ! Pour le sexe, donne-toi un peu de temps, reprit-il. Tu as plus urgent à régler. Quant à ton physique - il pointa son index devant lui et l’agita frénétiquement en direction de la jeune fille – si tu n’arrêtes pas de remettre mon travail en cause, tu vas le regretter, c’est moi qui te le dis. Parce que, moi, je vais t’en faire une de ces tronches, ça ne sera pas triste ! conclut-il, énervé. Il remplit à nouveau son verre. Non mais ! Mademoiselle a affaire au meilleur chirurgien plasticien du pays et elle se permet de faire la fine bouche.

    Derek ne put se retenir de sourire. Mark venait de les gratifier d’un numéro dont seul lui avait le secret, tout en grandiloquence et en excès. Mais il suffisait de voir Meredith pour comprendre que cela n’avait pas eu l’effet escompté. L’orage allait éclater. Et en effet, il éclata violemment. Comment oses-tu ? cria Meredith. Ma vie est foutue, je suis malheureuse et tu oses me menacer en prime ? C’est méchant et cruel. Tu es pire que George en fait.

    Mark jeta un bras en l’air en l’agitant dans tous les sens. Mais oui, vas-y, rajoutes-en une couche. Il se leva et fit quelques pas dans le salon en se dandinant et en grimaçant comme s’il allait pleurer. Que je suis malheureuse, dit-il en prenant une voix fine, censée représenter celle de Meredith. Personne ne me comprend. Je suis toute seule au monde. Gnagnagna. Il reprit sa voix normale. Tu devrais avoir honte de te plaindre ! Derek ouvrit la bouche pour intervenir mais Mark le fit taire d’un geste. Toi, tais-toi. C’est moi qui parle pour une fois. Il reprit Meredith pour cible. Non mais c’est vrai, quoi ! Tu sais ce qu’on voit, nous, tous les jours, dans notre métier ? Des gosses condamnés par la maladie, des gamins qui se retrouvent en chaise roulante à la suite d’un accident de la route, quand ils ne finissent pas en légume dans un lit d’hôpital.

    Mortifiée par ces reproches qu’elle trouvait profondément injustes, Meredith bondit du canapé et, après avoir repoussé Derek qui voulait la retenir, elle prit la direction du hall. C’est dégueulasse de me dire ça, lança-t-elle à Mark.

    Mark la rattrapa alors qu’elle allait sortir de la pièce. Non, tu restes ici. Je n’en ai pas fini avec toi. Il la prit par le bras et la ramena au canapé, avant de reprendre sa place face à elle, sur la table. Tu sais ce qui est vraiment dégueulasse ? Ce que j’ai vu cette nuit. Une gamine de dix-sept ans qui s’est fait vitrioler par un connard parce qu’elle avait refusé ses avances, et qui doit affronter ça toute seule, parce que sa famille ne supporte pas ce qu’elle est devenue. Alors, tes petits malheurs, hein ! Il haussa les épaules.

    Meredith resta la bouche ouverte avant de se mettre à pleurer. Il avait mille fois raison et elle avait l’impression d’être horrible. Je… je suis… désolée, bégaya-t-elle.

    En voyant les larmes couler sur ses joues, Mark s’en voulut d’avoir été si dur avec elle. Ne crois pas que je minimise ce que tu as vécu, Mer, ajouta-t-il d’une voix douce. Ça a été terrible pour toi, je n’en doute pas un instant. Il se pencha pour lui prendre les mains dans les siennes. Je ne remets pas ta douleur en cause mais je ne veux pas qu’elle te bloque. Toute chose a un bon et un mauvais côté. Il faut que tu te serves de ce qui t’est arrivé pour aller de l’avant. Tu ne peux pas laisser cette histoire te détruire.

    Un peu honteuse, Meredith baissa la tête. Tu as raison, je le sais bien. J’ai vraiment envie de m’en sortir mais ce n’est pas facile.


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  • Ah ça, personne n’a jamais dit le contraire ! Mark tapota le dessus de la main de Meredith. Mais tu n’es pas toute seule.

    Non, tu n’es pas toute seule, répéta Derek. Je suis là, moi. Je vais t’aider à surmonter tout ça.

    Meredith quitta le canapé pour se jeter dans ses bras. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. C’est avec un pincement au cœur et le sentiment d’être exclu que Mark les regarda se câliner. Il avait livré la bataille et c’était Derek qui en retirait les lauriers. Il fallait qu’il se fasse une raison, il ne serait jamais qu’une pièce rapportée dans le trio. Il se leva avec l’intention d’aller à la cuisine, pour laisser le couple en tête-à-tête, mais Meredith se tourna à nouveau vers lui. Merci de m’avoir parlé comme tu l’as fait, lui dit-elle. Je te promets, je ne vais pas laisser cette histoire me bouffer. A partir d’aujourd’hui, je vais faire comme s’il ne s’était jamais rien passé ! clama-t-elle fièrement.

    Mark se rassit. Je pense que tu n’as pas bien compris ce que j’ai dit.

    Mais si ! assura Meredith. Tu avais raison. Et toi aussi, ajouta-t-elle à l’intention de son amant. J’ai été agressée mais ça aurait pu être plus grave et dans tous les cas, ça ne vaut certainement pas la peine que je gâche ma vie. Alors, je ne veux plus jamais en parler.

    Derek la regarda avec gravité. Il va bien falloir pourtant, ne fut-ce que pour faire ta déposition à la police.

    Le visage de la jeune fille se ferma. Il n’en est pas question. Je ne vais pas aller raconter ça à des inconnus, même si c’est des policiers. Et de toute façon, je ne me sentirai pas mieux si on le met en prison. Au contraire ! Si on l’arrête, il y aura un procès, et tout le monde sera mis au courant à Crestwood, fit-elle remarquer. Vous avez pensé à ma mère ? Déjà qu’elle n’était pas très heureuse que je vienne ici ! Si elle apprend que j’ai failli me faire violer par mon ami d’enfance, un garçon qu’elle a vu naitre, qu’elle a accueilli chez elle, elle pensera que c’est cette ville qui l’a perverti, et elle voudra que je rentre. Mais je ne rentrerai pas ! certifia-t-elle avec force. Alors, ma mère vivra dans la peur, et elle sera malheureuse. Je ne veux pas. Alors, je n’irai pas à la police. Il a disparu, ça me suffit.  

    Tu ne parles pas sérieusement, j’espère ? s’exclama Derek.

    Mais si, bien sûr ! Les yeux de Meredith allèrent d’un homme à l’autre. C’est quand même vous qui m’avez dit que je devais aller de l’avant, non ? Eh bien, c’est ce que je vais faire.

    Tu connais l’effet boomerang ? demanda Mark. Meredith fit signe que non. Eh bien, en psychologie, on parle d’effet boomerang, quand on tente de se persuader d’une chose, et qu’on réalise après coup qu’on a obtenu l’effet totalement inverse, expliqua Mark. Finalement, on a renforcé le malaise plutôt que de l’atténuer. En résumé, ça te revient dans la gueule, comme un boomerang.

    Meredith sembla soudain abattue. Donc, si je suis ton raisonnement, il faut que j’aille à la police pour me remettre de cette histoire ?

    Mark fit une petite moue. La police n’est qu’un détail, Mer. Elle eut un air perplexe.

    Derek intervint. Ce que Mark veut te faire comprendre, c’est que si, en espérant te sentir mieux, tu persistes à nier qu’il t’est arrivé quelque chose de grave, tu te sentiras encore plus mal.

    Qu’est-ce que je dois faire alors ?

    Mark prit le relais de son ami. Regarder la vérité en face, ne rien nier mais relativiser, et prendre le problème à bras le corps. En un mot, te battre.

    Meredith se laissa tomber dans un fauteuil avec un air découragé. Donc, il va falloir que je revive ce cauchemar, devant des gens que je ne connais pas en plus.

    Oui, je sais, ce n’est pas évident, admit Mark. Mais après…

    Après, tu pourras véritablement tirer un trait, bébé, conclut Derek.

    Si seulement c’était aussi simple que ça, commenta Meredith avec une voix lasse.

    Mark haussa les épaules en faisant une petite moue. Peut-être bien que oui, finalement.

    Derek se mit derrière le fauteuil de son amie et posa les mains sur les épaules de cette dernière. Je serai avec toi, je ne te quitterai pas d’un pouce, je te le promets. Après, on reviendra ici et tu me prépareras ce fameux risotto dont tu m’as parlé. Elle renversa la tête en arrière pour le voir et il lui fit un sourire encourageant. On va avancer ensemble.

    Main dans la main, en regardant dans la même direction, ajouta Mark sur un ton mi-amer, mi-ironique auquel, heureusement, ni Meredith, ni Derek ne prêtèrent attention. Il quitta son fauteuil. Bon, va falloir que j’y aille. J’entends mon lit qui m’appelle.

    Derek lui donna une tape amicale sur le bras. Merci, mec. Je te revaudrai tout ça.

    Meredith se leva à son tour pour saluer leur ami. Il la prit dans ses bras pour une accolade mais elle se haussa sur la pointe des pieds pour l’embrasser sur la joue. Tu es un véritable ami. Merci.

    De rien. Sans réfléchir, Mark posa la main sur la joue de la jeune fille, sa paume épousant la forme de cette dernière. Il la retira en croisant le regard surpris, et peut-être même un peu choqué, de Derek. Tu es comme ma petite sœur, dit-il pour éviter toute ambigüité. Tu pourras toujours compter sur moi. Il étreignit délicatement son épaule. Allez, je vous laisse. On s’appelle, on se fait une bouffe. Il sortit après avoir gratifié Derek d’une solide bourrade amicale.


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  • Après le départ de Mark, les choses s’enchaînèrent précipitamment. Désirant se débarrasser de la corvée police le plus rapidement possible, Meredith demanda à Derek de la conduire immédiatement au commissariat. Un quart d’heure plus tard, ils roulaient en direction du poste de Fillmore Street. Durant la dizaine de minutes que dura le parcours, la jeune fille ne dit pas un mot malgré les efforts désespérés de Derek pour meubler le silence. Au fur et à mesure qu’ils approchaient de la destination, elle sentait l’inquiétude monter en elle. Avait-elle eu raison de se rendre aux arguments de ses amis en acceptant de déballer ce qui l’avait blessée dans ce qu’elle avait de plus intime ? Est-ce que revivre cette chose affreuse devant des personnes inconnues, fussent-elles des forces de l’ordre, l’aiderait vraiment à surmonter son traumatisme et à passer à autre chose ? Ou bien est-ce qu’au contraire ça n’allait pas l’enfoncer un peu plus ? Quand Derek gara sa voiture à proximité du poste de police, elle crut qu’elle allait vomir.

    En voyant son visage blême et sa mine apeurée, Derek eut pitié d’elle. Il se trouva inhumain. Ce n’était pas lui qui, une fois encore, allait devoir revivre le drame. De quel droit pouvait-il lui infliger pareille torture ? Et s’il lui laissait un peu plus de temps ? Après tout, au point où ils en étaient, il n’y avait plus d’urgence. Si tu veux, on peut revenir plus tard.

    Non, c’est maintenant ou jamais, dit-elle sur un ton plein de découragement. Si on s’en va, je ne reviendrai pas.

    Après avoir annoncé le motif de sa visite au policier qui s’occupait de l’accueil, elle fut prise en charge par une inspectrice. Quant à Derek, il fut prié de patienter. Au début, il essaya de tromper son impatience en faisant les cent pas mais cessa rapidement en raison des regards irrités qui se posaient sur lui. Alors, après avoir pris un café à la machine, ce qu’il regretta, vu le goût douteux du breuvage, il s’assit sur une chaise bancale dans le hall, en tapant du pied par terre. A chaque fois qu’une porte s’ouvrait, il se levait précipitamment, pour se rasseoir aussitôt, désappointé. Ce n’était jamais Meredith qui surgissait. Si seulement, il avait pu l’accompagner jusqu’à la salle d’interrogatoire… Bien entendu, il n’aurait pas pu entrer dans la pièce, il le savait, mais au moins il aurait su où elle se trouvait. Au lieu de cela, il devait monter la garde dans l’entrée. Après une demi-heure, il commença à trouver le temps long, trop long, anormalement long. Il se demanda si Meredith n’avait pas craqué, avant de se raisonner. Il était impossible qu’elle raconte son histoire en quelques minutes. Il n’avait rien d’autre à faire que de prendre son mal en patience. Enfin, elle apparut. Il se précipita à sa rencontre. Alors, ça a été ?

    Sans le regarder, elle se dirigea tout droit vers la porte. Sortons d’ici ! Vite !

    Derek la prit par la taille et l’entraîna à toute vitesse vers l’extérieur. Ça s’est bien passé ? s’enquit-il en la guidant vers la voiture.

    Aussi bien que possible, je suppose, répondit-elle.

    Il lui ouvrit la portière de la Porsche. Ils ont été corrects au moins ? Elle s’installa sur son siège sans dire un mot. Meredith ? insista-t-il.

    Elle leva la tête vers lui. Il est mort, annonça-t-elle sans expression particulière.

    Derek fronça les sourcils. Qui est mort ?

    George. Il est mort. Ils viennent de me l’annoncer.

    Sonné, Derek mit quelques secondes avant de réagir. Il referma la portière de Meredith et fit le tour de son véhicule pour prendre le volant. Ils t’ont dit de quoi il est mort ? se renseigna-t-il avec l’arrière-pensée qu’il était peut-être pour quelque chose dans ce décès. Lors de la bagarre à la boutique, il avait frappé le jeune homme de toutes ses forces. Peut-être qu’un de ses coups avait causé des dommages irrémédiables.

    D’une overdose, révéla Meredith d’une voix blanche. Surpris autant que soulagé, Derek tourna vivement la tête vers elle. Ils doivent encore faire l’autopsie mais ils ont trouvé de l’héroïne sur lui, expliqua-t-elle. D’après eux, c’était sans doute la première fois qu’il prenait une drogue aussi dure, lui apprit-elle. Il n’avait aucune trace de piqure.    

    Derek lui prit la main. Qu’est-ce qu’ils t’ont dit exactement ?

    Elle haussa légèrement les épaules. Pas grand-chose, finalement. Ils ont écouté ce que j’avais à dire, et puis à la fin, ils m’ont annoncé la nouvelle. Ils ont retrouvé son corps cette nuit. Dans un squat à Tenderloin. Derek grimaça. Tenderloin était sans conteste un des pires quartiers de la ville. Apparemment, il fréquentait une bande de petits dealers, poursuivit Meredith. Sans doute qu’il avait commencé à dealer lui-même. Enfin bref, ma plainte restera sans suite. Tout ça pour ça, conclut-elle avec ironie.

    Donc, cet enfoiré est mort, dit Derek, un peu hébété, comme s’il n’arrivait pas à y croire. Non pas qu’il se réjouissait du décès de son rival. En tant qu’homme et médecin, il ne pouvait pas se réjouir de la mort d’un être humain. Mais maintenant au moins, Meredith ne risquait plus rien. Tu sais si les filles ont déjà été prévenues ? C’est bizarre qu’elles ne t’aient pas avertie, fit-il remarquer.

    Elles ont peut-être essayé de le faire. Meredith se pencha pour ramasser son sac à main. Mon téléphone est éteint depuis hier, alors… Elle prit son appareil et l’alluma. Six texto de Cristina. Elle les lut d’une façon monocorde au fur et à mesure qu’elle les découvrait. Appelle-moi, c’est urgent… Je t’en prie, appelle-moi. C’est grave… Mer, je ne peux pas t’expliquer par texto mais c’est très important… Meredith, appelle-moi, merde !… Bon sang, qu’est-ce que tu fous ?… Je t’en supplie, appelle-moi. J’ai quelque chose de grave à te dire, c’est à propos de George. Elle retourna dans le menu de son téléphone. Elle m’a aussi laissé un message vocal.


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  • Meredith appuya sur quelques touches avant de mettre le téléphone à son oreille. Elles ont été averties ce matin. On leur a dit plus ou moins la même chose qu’à moi. C’est une overdose, il n’y aura pas d’enquête, résuma-t-elle en éteignant le téléphone. Elle le remit dans son sac et ensuite, regarda droit devant elle, dans une attitude tellement fermée que Derek préféra ne rien dire. Ils étaient à mi-parcours quand elle se tourna vers lui. Je ne ressens rien, lui confia-t-elle d’une toute petite voix dans laquelle il crut déceler de l’anxiété. Pas de tristesse, ni de colère. Pas de satisfaction non plus. Je n’ai même pas l’impression d’être soulagée. C’est comme si ça m’était complètement égal, comme s’il s’agissait de la mort d’un total inconnu. Tu trouves ça normal ?

    Il posa la main sur sa cuisse et l’étreignit légèrement. Je ne sais pas s’il y a une réaction qu’on puisse considérer comme normale dans ce genre de circonstances, répondit-il. Tu as subi un terrible traumatisme et là, tu viens d’apprendre cette nouvelle. Je ne suis pas sûr que tu aies vraiment réalisé ce qui se passe.

    Il est mort, Derek, répliqua la jeune fille. Je sais très bien ce que ça veut dire. Je peux dormir sur mes deux oreilles maintenant, je ne le verrai plus jamais. Il m’a fait un truc horrible mais je n’ai plus rien à craindre parce qu’il a été puni par une sorte de justice divine ou que sais-je, ironisa-t-elle. Mais ça me laisse totalement froide. Un garçon avec qui j’ai grandi, avec qui j’ai partagé tellement de choses pendant vingt ans, est mort et je n’en ai rien à faire. Est-ce que je suis devenue insensible ? Est-ce qu’il m’a fait perdre une partie de mon humanité ? s’inquiéta-t-elle.  

    Derek sourit. Mais non, voyons ! Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Tu n’es pas du tout insensible ni inhumaine. Je persiste à dire que tu as vécu pas mal de choses ces derniers temps, des choses très dures, et ce ne serait pas étonnant que, inconsciemment même, tu aies bâti un système de défense qui fait que tu te fermes aux émotions. Mais ça ne va pas durer à mon avis.

    Finalement, ce ne serait pas si grave, estima Meredith. Tout ce que je veux, c’est tourner la page le plus rapidement possible. Si je n’ai plus d’état d’âme, ce sera plus facile.

    Bien qu’il ne soit pas du tout d’accord avec sa vision des choses, Derek ne dit rien. Le moment était mal choisi pour tenter de discuter psychologie avec elle. Ça te dirait qu’on s’arrête quelque part pour manger ? lui proposa-t-il dans le but de lui changer les idées.

    Elle lui lança un regard assassin. Tu te moques de moi, là ? Tu penses qu’avec le visage que j’ai pour le moment, je vais aller me balader en ville et m’afficher dans un resto ?

    Il ne releva pas son ton agressif. Si tu préfères, on peut aller dans un fast-food. On passe au drive-in et on mange dans la voiture. Ça nous fera quand même une sortie.

    Sors si tu veux mais moi, j’ai juste envie de rentrer, rétorqua Meredith en tournant la tête vers la vitre.

    Derek n’insista pas. Elle venait d’apprendre une nouvelle qui, même si elle prétendait le contraire, l’avait certainement ébranlée. La mort de George représentait la fin de son enfance mais aussi, l’anéantissement de tout espoir de le voir sanctionné pour ce qu’il lui avait fait. Il fallait lui laisser le temps de digérer tout ça. Après, elle redeviendrait celle qu’elle avait toujours été. Fort de cette conviction, Derek la laissa tranquille pendant le reste du voyage. Quand il arrêta la voiture devant la maison, il se dépêcha de sortir pour ouvrir la portière de son amie, mais celle-ci l’avait devancé et poussait déjà avec détermination la barrière de la terrasse. Il se précipita pour lui ouvrir la porte de la maison, en feignant d’ignorer le regard courroucé qui pesait sur lui.

    Ils étaient à peine entrés que Meredith fonçait au salon. Derek la suivit et nota avec déplaisir qu’elle s’allongeait sur le canapé, en tournant la tête vers le dossier. Tu vas dormir ?

    Je veux juste me reposer un peu, répondit-elle sèchement. Mais si ça te dérange, je peux aller dans la chambre.

    Non, bien sûr, tu peux rester ici. Désarçonné par la froideur qu’elle persistait à lui témoigner, Derek se dirigea vers la cuisine avant de se raviser. Il faudrait que tu me rappelles ce dont tu as besoin pour préparer le dîner. Tu me l’as déjà dit mais j’ai oublié. Du riz, des asperges, et quoi encore ? demanda-t-il dans une tentative désespérée de renouer le dialogue.

    Si tu crois que j’ai envie de faire la cuisine ! rétorqua Meredith avec agressivité. En plus, je n’ai vraiment pas faim. Tu n’auras qu’à te faire livrer quelque chose.

    Pas de problèmes. Lassé de se faire rabrouer à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, Derek préféra se réfugier dans la cuisine. Peut-être qu’après s’être reposée, Meredith serait d’humeur moins querelleuse. Après avoir placé la vaisselle du petit-déjeuner dans le lave-vaisselle, il monta dans la chambre où il s’occupa en rangeant ses vêtements et ceux de son amie dans le dressing. Ensuite, il inspecta la salle de bain et bénit Mark d’avoir été assez prévoyant que pour acheter certains produits d’hygiène corporelle auxquels il n’avait pas du tout pensé. A part son gel-douche et son dentifrice, il n’avait rien amené et il n’avait guère pris plus pour Meredith. Sacré Mark ! murmura-t-il. Une vraie fée du logis. Il s’assit sur le lit et prit son téléphone pour consulter sa boite mail avant de survoler les informations sur le net. Une heure était passée quand il redescendit. En rentrant dans le salon, il trouva Meredith plongée dans la lecture du traité de médecine que Mark lui avait donné. Ça va ? Tu comprends quelque chose ? s’enquit-il.

    La jeune fille fit la moue. Pas grand-chose. Y a plein de termes médicaux. Et les photos sont horribles.

    Si je peux t’aider… Derek vint s’asseoir à côté d’elle.


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  • Meredith soupira. J’aimerais surtout comprendre quelle était l’intention de Mark en me donnant ce bouquin. Elle montra à Derek une photo où l’on voyait une femme défigurée. Est-ce qu’il assez tordu pour croire que voir des personnes encore plus mal en point que moi, ça va me remonter le moral ?

    Il ne put s’empêcher de sourire. Peut-être bien. Mais je crois qu’il veut surtout que tu réalises qu’il a fait le maximum pour toi et que tu ne garderas aucune séquelle physique.

    Meredith le regarda avec un air profondément dubitatif. Et comment je vois ça ? Elle lui tendit le livre. Vas-y ! Montre-moi où il est dit que moi, je n’aurai aucune marque.

    Il prit le traité de médecine dont il consulta la table des matières. Eh bien par exemple… Il tourna rapidement les pages jusqu’à trouver celle qui l’intéressait. Tu vois, ce point de suture ? Meredith se pencha légèrement vers lui. C’est celui que Mark a utilisé pour ton entaille à la pommette, lui expliqua-t-il. Si tu lis ce qui est écrit, tu apprendras qu’il est le plus indiqué pour les coupures peu profondes, et particulièrement au visage. Elle se tourna vers lui avec une mine sceptique. Il lui montra une autre page. Là, on parle des conditions idéales de cicatrisation. Ça dépend de l’âge, de la qualité de la peau, de la corpulence, de certaines habitudes comme le tabagisme. Tu es jeune, mince, ta peau est magnifique, tu ne fumes pas. Il lui sourit. Les conditions idéales sont réunies. Je dirais même que tu es un cas d’école.

    Ou bien l’exception qui confirme la règle, persifla-t-elle.

    Un peu agacé, Derek referma le livre en le claquant. Tu dois arrêter de te focaliser sur ton apparence, Meredith. Ce n’est qu’un détail.

    Elle ricana. Ben voyons ! C’est sûr que tu resteras avec moi si je suis défigurée.

    Derek fut embêté de constater que, une fois de plus, dans cette histoire, elle n’envisageait son avenir qu’en fonction de lui. Je ne suis pas le centre du monde, bébé. Tu ferais mieux de penser à toi, suggéra-t-il en avançant la main pour lui caresser la joue.

    Meredith le repoussa brusquement. Mais c’est ce que je fais. Je ne pense même qu’à moi, là. Parce que je ne m’en sortirai jamais si tu t’en vas.

    Derek hocha tristement la tête. Je ne sais plus ce que je dois dire pour te convaincre que je ne vais pas te quitter parce qu’éventuellement, et je dis bien éventuellement, insista-t-il fermement, tu auras quelques cicatrices.

    J’en ai marre que tu me sortes toujours les mêmes boniments, s’emporta Meredith.

    Ce ne sont pas des boniments, assura Derek.

    Eh bien, alors, n’en parlons plus ! Meredith glissa au bout du canapé en boudant.

     

    Très bonne idée ! approuva Derek. Et bientôt, tu verras que tu t’es stressée pour rien. Il posa le livre sur la table avant de s’enfoncer dans le canapé, en tenant la jeune fille étroitement serrée contre lui. Il faut vraiment que tu cesses de penser à ça, bébé. Te morfondre pour ton visage ne fera pas avancer les choses. Et rester enfermée, non plus ! Il posa la main sur le genou de Meredith qu’il étreignit. Que dirais-tu d’une petite promenade sur la plage ? 

    Elle le regarda à nouveau comme s’il venait de dire la plus grosse des énormités. Tu rigoles ? Tu espères vraiment que je vais avoir envie d’aller sur la plage ?

    D’accord. Alors, partons faire une balade en voiture, proposa-t-il. On pourrait quitter la ville, aller manger une glace quelque part.

    Ça ne me dit rien, s’entêta Meredith.

    Et un cinéma ? lança Derek sur un ton guilleret. Ce serait sympa. Il y a sûrement un chouette film pour le moment. Il consulta à nouveau Internet via son téléphone.

    Mais oui ! C’est sûr qu’une salle pleine de monde, ça va me plaire, se moqua Meredith avec un accent de méchanceté. Elle leva ostensiblement les yeux au ciel pour montrer son énervement. Je ne sais pas dans quelle langue je dois le dire, mais je ne veux pas sortir ! 

    Derek n’avait pas l’habitude qu’on lui parle sur ce ton. Même s’il était décidé à se montrer compréhensif, il y avait certaines choses qu’il n’était pas prêt à accepter. Qu’est-ce que tu veux, alors ? demanda-t-il sèchement.

    Que tu me foutes la paix !

    Le ton était mordant et l’air plus que revêche. C’en fut trop pour Derek. Très bien ! dit-il froidement en se relevant. Libre à toi de te morfondre mais alors, ce sera sans moi ! Il se dirigea sans attendre vers le hall.

    Meredith se leva d’un bond. Qu’est-ce que tu fais ?

    Je vais prendre l’air, annonça Derek. Ça vaut mieux. Si je reste ici une seconde de plus, je vais péter un plomb, je vais dire des trucs et ça va mal se terminer. Il saisit sa veste et, avant que son amie puisse dire quoi que ce soit, il sortit de la maison en claquant la porte. Le temps de sauter dans sa voiture et de mettre le contact, il était déjà hors d’atteinte.

    La jeune fille resta quelques secondes, les yeux fixés sur la porte comme si elle s’attendait à ce que Derek revienne. Quand elle entendit le vrombissement de la Porsche, elle comprit que cela n’arriverait pas. Un long gémissement s’échappa de sa gorge et elle se mit à pleurer. Après quelques secondes, elle se jeta sur son sac pour y prendre son téléphone. C’est en tremblant qu’elle composa le numéro de Derek. Elle tomba directement sur sa messagerie. Elle rappela une deuxième fois puis une troisième, en vain. Une peur panique l’envahit. Qu’allait-elle devenir maintenant que Derek l’avait abandonnée ?


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